Wisdom of Life

Libres du « Sacré »

Ce texte de Guy Luzsenszky, publié initialement dans la Chronique de Boquen n° 72, octobre 1988 figure dans le recueil des écrits de Guy publié par l’Association culturelle de Boquen en 2001 : Quand on a fait tant de chemin…, propos d’un moine de plein vent, L’Harmattan, coll. « Chrétiens Autrement ».

On parle souvent aujourd’hui de désacralisation ou, à l’inverse, du retour du sacré. D’aucuns déplorent la disparition du « sens du sacré » ; d’autres se félicitent de le voir recherché de nouveau. L’un des esprits des plus remarquables de nos jours, Mircea Eliade, voyait dans le premier de ces phénomènes contradictoires le principal handicap de nos sociétés, car le sacré, pour lui, est une dimension fondamentale de l’homme, qu’il a retrouvée dans toutes les civilisations.

Il y a une équivoque à dissiper. La langue française, heureusement, a deux mots différents : « sacré » et « saint », aux significations voisines mais distinctes. Paul Evdokimov, le grand théologien orthodoxe, a eu cette formule heureuse : « Depuis l’Incarnation, il n’y a plus sacré et profane, car le Christ a tout sanctifié. »

Le sacré était la catégorie essentielle de toutes les religions, y compris la juive, de l’Ancien Testament… Il signifie une sorte de droit de propriété du Divin sur lieux, choses ou personnes, interdits à l’homme. Une frontière infranchissable entre le domaine de Dieu et l’espace où évoluent les hommes. Une Présence mystérieuse, face à laquelle l’homme éprouve à la fois fascination et terreur.

Or, avec l’Incarnation (entendue avec toutes les conséquences qui en découlent) tout cela est fini. Il n’y a plus d’espace réservé à Dieu qui serait interdit à l’homme. « Ce n’est plus sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père… mais en esprit et en vérité. » (Jean, 4, 21-23). Il n’y a plus en stricte logique de l’Evangile, des lieux privilégiés de la présence de Dieu : tout, rigoureusement, toute la création est porteuse de Dieu, lourde de Sa Présence. Mais cette Présence n’est plus le « sacré » des religions, fascinant et redoutable ; c’est une Présence d’Ami qui s’offre et s’invite. Mystère, oui, qui impose un infini respect ; mais si incompréhensible qu’il soit, dépassant tout entendement humain, il est amour, tendresse, communion, partage. « Je ne vous dirai plus serviteurs mais amis » avec qui j’ai tout partagé (Jean 15, 15). Si ce Mystère nous dépasse, c’est surtout parce que l’amour, le don, l’intimité qu’il révèle dépassent tout ce que nous avons imaginé. La Genèse montre Dieu se promenant avec l’homme au jardin à l’heure de la brise du soir. Le péché aurait mis fin à l’idylle. Mais voilà, ce même devient cette fois-ci l’un de nous, en vérité, notre compagnon de route, partageant notre destin sans privilège aucun. Qui oserait encore appeler « profane » quoi que ce soit de l’existence humaine, quoi que ce soit de ce monde devenu un jour le milieu de vie de Dieu ? Désormais tout brin d’herbe, tout caillou nous parle de lui, mais aussi la joie et la peine des hommes, la tendresse et le combat, le travail et la fête, la naissance et la mort…

Désormais, tout est dans le regard. Avoir des yeux, ces « yeux que le cœur rend perspicaces » pour découvrir en tout homme et en toute chose cette Présence que l’on pressent comme une Source de Vie jaillissant sans cesse à la racine même de son être.

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