Wisdom of Life

Boquen – Pourquoi je continue

Cela va faire 30 ans, une génération, Françoise et moi débarquons à Poulancre quelques temps après l’acquisition de la maison. Nous ne savons presque rien de l’aventure de Boquen, sinon de réputation et par une visite à l’Abbaye lors de la dernière manifestation de la Communion, sous les yeux méfiants des Sœurs de Bethléem attendant de prendre possession des lieux. En arrivant à Poulancre, pas de bureau d’accueil (nom, prénom,… !). On me met une pelle dans les mains et me voilà au milieu d’une équipe en train de remplir un camion de terre et cailloux encombrant un bâtiment de ferme en rénovation. Les limites d’âge des lecteurs de Tintin (de 7 à 77 ans) sont enfoncées aux deux extrémités ; dans un coin, Antoine, âgé de quelques mois, est dans un couffin (aujourd’hui, il est au Conseil de l’association). Et depuis, cela a continué. Nous ne sommes pas une communauté ; nous ne nous retrouvons que pour de courtes périodes, mais ce sont des occasions fortes de vivre ensemble dans la diversité d’origines, d’âges, de convictions. Même si les conditions sont totalement différentes, c’est bien un prolongement de ce qui s’était passé avant à l’Abbaye. Ainsi sont toujours présentes les confrontations sur les questions les plus fondamentales. Nous continuons l’habitude de prendre chaque jour un moment pour faire mémoire et évaluer ce qui s’est passé la veille.

Au fil des années, des personnalités fortes nous ont quittés : d’abord Guy Luzsénszky, puis Maryvonne Toullier, Yves Burdelot, Pierre de Locht – il faudrait en citer d’autres. Mais il y a aussi toutes celles et tous ceux qui ont tellement apporté par leur présence, leur travail et leur spiritualité. Peu à peu, les questions de « boutique Eglise » ont disparu de nos échanges. Nous ne sommes en guerre ni contre le pape et les évêques, ni contre personne d’ailleurs.

Mais il y a beaucoup plus qui nous réunit. C’est une véritable réconciliation entre deux attitudes, l’intellectuelle d’un côté et les actions matérielles de l’autre – la tête et les jambes ! Je voudrais évoquer Clément Chaussée qui vient de nous quitter. Il a vécu une vie de prêtre au travail. La maison de Poulancre lui doit presque tout ; je crois ne l’y avoir jamais vu autrement qu ‘en combinaison de travail avec des outils à la main. Et c’est sans doute lui dont la liberté et le niveau de spiritualité m’ont le plus marqué.

A ce sujet, je pense à l’épisode célèbre de « crêpage de chignons » entre Marthe (la travailleuse) et Marie (la contemplative) en présence de Jésus. Dans un ouvrage collectif du Centre Sèvres (L’anneau immobile, Regards croisés sur Maître Eckhardt), les auteurs montrent que c’est « dans les œuvres et par les œuvres que se trouve attestée la vérité du sentiment » et soulignent que Eckhardt crédite Marthe d’une élévation au niveau d’une véritable entreprise spirituelle, qui réconcilie l’intériorité et l’extériorité : « car la raison pour laquelle nous sommes placés dans le temps est que, par une entreprise temporelle intelligente, nous devenions plus proches de Dieu et plus égaux [à lui]. » Finalement, c’est Marthe qui l’emporte sur Marie, contrairement à ce que l’on entend habituellement.

Peut-être est-ce cela qui fait que, dans nos rencontres, à Poulancre ou ailleurs, il se passe toujours quelque chose de différent.

Jean-Pierre

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