Wisdom of Life

Un bouquet de flammes et de poèmes


Quinze participants, un soir de mai 2007 autour de la cheminée à Poulancre, se laissent porter par la lecture de poèmes et à l’invitation de Colette Pautard construisent par listes, associations, structures répétitives de nouveaux poèmes à la manière de Guillevic ou François Cheng.

Poutre insérée

Chemins découverts

Rivière accompagnée

Frondaisons parcourues

Héron surpris

Suppose

Que la salamandre surgisse,

Qu’elle embrase l’herbe d’été

Et que je te demande

De caresser son ventre

Pour dans la fraîcheur de la nuit

Mieux comprendre le cri de la chouette.

Pourquoi ce silence

Pourquoi cette émotion

Pourquoi ce sourire

Sans qui pourtant la joie ne serait pas

Liberté gagnée

Terre humide

Fenêtre ouverte

Lumière tamisée

Enfant gâté

Horizon lointain

Sentiers battus

Aile déployée

Pourquoi tout ce vent

Pourquoi son chant

Pourquoi tout ce temps

Sans qui pourtant je ne trouverai ni l’instant ni son silence

Je ne vois pas le crapaud

Qui veuille m’orienter vers le roc le plus lisse

Pourquoi tant de lumière

Pourquoi tant de couleurs

Pourquoi tant de clameurs

Sans quoi la fête ne serait pas

Sentiers battus

Champs parcourus

Terre entrevue

Bois entretenus

Prés vus

Pissenlits éclatants

Primevères sauvegardées

Myosotis un peu cachés

Jardin en t’attendant

Pourquoi donc ces poètes ?

Pourquoi ces artistes ?

Pourquoi ces militants ?

Dont se privent pourtant

Ceux qui préfèrent partir à la guerre.

Route bue

Lit raviné

Page ému

Nuit retournée

Etoile ténue

Matière marquetée

Bordure surpiquée

Structure compliquée

Seuils inversés

Espaces transformés

Pourquoi donc cet ici

Et pourquoi pas là

Pourquoi l’espace

Sans lequel pourtant

La rencontre ne serait pas

Pourquoi donc la sterne

Et pourquoi l’estran

Pourquoi le trait

Pourquoi la lettre

Sans lesquels pourtant

Le ciel ne serait pas

François Cheng le passeur, a fait le grand passage de la Chine à l’Europe. A la fois poète, philosophe, peintre, calligraphe, romancier…il a enseigné à l’Institut des Langues et Civilisations Orientales, est imprégné de la vision globale et unitaire de l’univers taoïste.

Après cette soirée à Poulancre au cours de laquelle nous nous étions entraînés à lire, écouter et même écrire quelques phrases, j’ai été tentée d’aller voir et écouter aux « Champs libres » à Rennes un des poètes que nous avions évoqué : François Cheng. Ce fut une bien agréable soirée de poésie, cet « état suprême du langage » nous dit-il.

Il nous dit aussi : « Qui accueille s’enrichit… Qui exclut s’appauvrit… ». « Puisque tout ce qui est de vie se relie », A l’Orient de tout, Gallimard, 2005

Après nous avoir parlé de sa vie, de sa langue, de la connaissance de la langue française avec ses particularismes, cet homme simple, discret, non dépourvu d’humour nous fit cette confession : abandonner sa langue maternelle est un sacrifice (je pense à tous ces immigrants confrontés à ce problème !) mais dit-il il y a une ivresse à renommer les choses à neuf, repenser sa parole, repenser sa pensée…

Il illustra ses propos avec quelques mots : ARBRE – ce mot évoque un élan, une ouverture, une dimension que le mot anglais TREE par exemple n’évoque pas !

La soirée se prolongea par la lecture de quelques poèmes, en particulier sur les arbres, le vent qui évoque le chant, les oiseaux, les nuages, mot très évocateur chez les chinois, et bien d’autres sujets… Une soirée bien agréable en poésie !

Annick

*

« Puisque tout ce qui est de vie se relie », A l’Orient de tout, Gallimard, 2005

Nous consentirons

A la marée qui emporte la lune

A la lune qui ramène la marrée

Aux disparus sans qui nous ne serions pas

Aux survivants sans qui nous ne serions pas

Aux appels qui diminuent

Aux silences qui continuent

Aux regards figés par les frayeurs

Au bout desquelles un chant d’enfant revient

A ce qui revient et ne s’en va plus

A ce qui revient et se fond dans le noir

A chaque étoile perdue dans la nuit

A chaque larme séchée pendant la nuit

A chaque nuit d’une vie

A chaque minute

D’une seule nuit

Ou se réunit

Tout ce qui se relie

A la vie privée d’oubli

A la mort abolie

Ce poème a été lu à Poulancre en mémoire de Clément quand nous avons planté un rosier près de l’atelier où il rangeait les outils.

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