Wisdom of Life

Lire les Béatitudes a-t-il encore un sens ?

Réunis à Poulancre les 11 et 12 septembre 2010, en présence de Bernard Feillet, nous nous sommes attelés à la lecture du texte des Béatitudes, lecture croisée du texte repris par deux des quatre évangélistes, écrits dans l’après-coup de la vie de Jésus (entre 60 et 80 ans après J.C.) traces d’une culture, d’une époque, d’une certaine vision des disciples de Jésus. En confrontant diverses traductions de la Bible, en s’intéressant à la ponctuation qui fait rentrer le silence dans le texte, nous avons même eu l’audace de reconstruire un texte à partir de la façon dont résonnent pour nous ces termes aujourd’hui.

En effet, Bernard nous a invité à prendre une distance par rapport au texte – ni enseignement ni morale – mais un langage adressé à tous comme « une parole de murmure », une révélation de l’Autre à lui-même pour rejoindre la conscience de chacun, une parole qui peut se partager avec d’autres au-delà de son ton provocateur et paradoxal, qui permet de laisser venir les mots « créateurs ». Bernard cite le poète Rilke : « les vers, ce ne sont pas des sentiments, ce sont des expériences, du milieu d’entre elles pourra surgir le premier mot d’un vers… » – de même en abandonnant nos credo trop tôt formulés, nous pourrons laisser surgir les premiers mots de la Foi, en laissant agir en nous les incertitudes, les contradictions.

« Heureux ceux qui ont une âme de pauvres car le Royaume des cieux est à eux »…,parole de soumission transmise par une institution religieuse qui veut garder le pouvoir, ou parole de libération à l’égard des pauvres invités à faire entendre leur voix comme l’ont saisi les théologiens de la Libération ? Guy Luzsénsky dans ses lettres et écrits a souvent fait référence à cette béatitude : « …c’est ainsi que nous repartons, sans en savoir plus, sans que notre nuit soit moins obscure ; mais …nous savons où nous allons – on ne peut se tromper là de chemin : c’est là où la béatitude des pauvres nous envahit » (in revue Echanges, n°124).

« Bienheureux les artisans de paix car ils seront appelés Fils de Dieu… » : Les théologiens de la Libération y entendaient une parole révolutionnaire du Christ pour transformer non seulement les esprits mais aussi les institutions : « le vrai pacifique est celui qui fait la paix et celui-là, nécessairement passe sa vie au milieu des guerres, entre ces combattants qu’il veut réconcilier… » Aucune parole lénifiante dans un monde conflictuel mais plutôt une impulsion, une quête qui renvoie à la prise de conscience de chacun. Pas de ligne tracée toute faite, ni de vérité fixée une fois pour toutes. Pas de dernier mot de la Foi mais plutôt des expressions éclairantes.

Bernard nous parle de Jésus comme un homme habité du mystère de Dieu dans une contemplation silencieuse ; on a trop abusé d’une prétendue connaissance de Jésus comme identifié à Dieu.

La Foi appelle à un au-delà de la Foi et peut nous permettre de dépasser les clivages croyant ou non-croyant puisque l’expérience de la Foi passe par la perte de la Foi. Jésus apparaît dans sa Foi en devenir. Il tâtonne dans la prière silencieuse de la nuit. Alors que sa passion est la faillite des Béatitudes, le récit de la Résurrection apparaît comme un texte visionnaire, le récit de la victoire sur la mort, d’une vie accomplie dans le mystère de Dieu qui l’attend. De dépouillement en dépouillement vers la réalisation finale, avec en bout de course le constat d’évidences, d’illusions, d’échecs comme chacun de nous peut se le dire à lui même quand il saisit l’expérience de l’ultime dans la reconnaissance de son être.

A travers le récit des Béatitudes, nous découvrons que le Royaume de Dieu s’adresse à l’humanité entière. Mais pour certains d’entre nous le terme « royaume des Cieux » apparaît comme un univers lointain, impénétrable, bien loin du quotidien et il nous faut toute l’intuition et le parcours de Bernard pour saisir que laisser résonner en nous (en opposition au terme raisonner) une présence est possible si nous acceptons de nous confronter à un ultime insaisissable – la part de Dieu. Son mystère est de l’ordre d’une zone incommunicable alors que nous avons trop souvent parlé de Dieu comme bouche-trou dans nos vies.

Vivre sur les deux registres : l’intime et l’ultime, la dépossession de Dieu et la rencontre au cœur même de l’humain en nous.

Comment faire une lecture des Béatitudes aujourd’hui dans un monde déconnecté de Dieu et qui a perdu ses repères ? Ce texte nous invite à retrouver en chacun de nous une certaine vision pour l’avenir de l’humanité.

Pendant 3000 ans les religions ont fécondé l’humanité mais leurs domaines trop spécifiques ne permettent plus d’englober tout le champ humain. Au XXIème siècle, les religions devront se laisser féconder par la maturité de l’humanité, conclut Bernard. Merci pour sa présence, son écoute et son esprit d’ouverture.

Notes prises par Odile

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