Extrait de Quand on a fait tant de chemin. Propos d’un moine de plein vent, L’Harmattan, coll. « Chrétiens autrement », 2001, p. 126-127
« Faut-il qu’il règne ? » Lithurgie de la fête du Christ-roi, Jean 18, 33-37.
Billet évangélique paru dans Témoignage Chrétien, lundi 19 novembre 1979.
Pour Saint-Paul, cela ne fait pas de doute : Dieu a établi son Fils roi de l’univers. A vrai dire, ce royaume, il le lui faut encore conquérir. Manifestement, ce sont d’autres qui règnent. Mais il semble que pour l’apôtre et pour la première génération chrétienne, c’était pour bientôt : Jésus, par son Esprit, dans ses apôtres, œuvrait avec une telle puissance, l’évangile allait de conquête en conquête.
Un demi-siècle plus tard, il fallait déchanter. Ce que constate Saint-Jean, vieilli, c’est la résistance obstinée que les ténèbres opposent à la lumière. L’aveuglement, plus ou moins conscient, auquel se heurtait la prédication de Jésus, repousse, aussi, celle de ses envoyés. La sérénité, voire même l’humour, avec lesquels le dernier survivant des douze contemple ce combat incertain, semble traduire sa confiance dans la victoire finale. En tout cas, les ténèbres ne réussissent pas à « arrêter » la lumière (1,5) : cette conviction affleure tout au long de l’évangile.
Les futures générations chrétiennes ne se contenteront pas de si peu. « Il faut qu’il règne ! » et voilà que s’organisent les sociétés « chrétiennes ». Le monde a beau s’orienter vers une sécularisation de plus en plus totale, les tenants de la royauté du Christ ne désarment pas et l’Eglise livre des combats d’arrière-garde acharnés pour maintenir des positions qui lui échappent l’une après l’autre.
« Enfin, es-tu donc roi ? » demande Pilate, excédé par ces querelles de juifs. « Jésus lui répondit : C’est toi qui dis que je suis roi ». Puis-je traduire : « Si tu veux… » ? Car la suite est plutôt déconcertante, comme explication de cette « royauté » : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix » (Ev. de Jean, XVIII, 37). « Les juifs attendent un roi : pour sûr, je ne suis pas celui-là. Ils se trompent du tout au tout sur ce Royaume de Dieu qu’ont annoncé les prophètes : ils croient que Dieu veut régner comme les puissants du monde, par la force et la contrainte. Or, c’est le contraire : la seule chose qui l’intéresse, c’est la libre acceptation par l’homme du suprême commandement de l’amour ». C’est de ce message que Jésus est venu témoigner et la seule « allégeance » qu’il demande, c’est de croire à ce message.
Pourquoi, donc, ce doux rêveur fut-il ressenti comme menaçant les pouvoirs en place, au point qu’il fallait l’éliminer ? Si tous sont frères et personne n’est « Maître » (Ev. de Matthieu, XXIII, 10), tout fondement est ôté à la domination de l’homme par l’homme, fut-ce au nom et en place de Dieu…
Faut-il donc qu’Il règne ? Il n’a rien fait pour cela. Et si son message s’est répandu au début avec une telle rapidité, ce n’était par l’emploi d’aucun moyen de puissance.
Que voulait-il ? « C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il brûle ! » (Ev. de Luc, XII, 49). Le « règne » de Jésus, c’est « comme une flamme en appelle une autre » (Guy-M. Riobé), c’est un feu qui brûle dans le croyant et risque de prendre autour de lui. Le feu de l’amour, donc de liberté ; non la soumission, mais le refus de se plier, pour pouvoir donner à Dieu la réponse qu’Il attend : celle d’un homme debout.
« La conversion spirituelle des hommes qui cesseraient de consentir à n’être que des masses de manœuvre ». (J. Sulivan).
Tous droits réservés © 2014 Conception Jean-Rémy Dushimiyimana
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