Texte et sens…
Au mois de mai 2010, nous nous sommes réunis pour une journée d’échanges sur « Textes et sens ». C’était une manière de nous préparer à la rencontre de septembre autour des évangiles et de notre rapport, aujourd’hui, à ces textes. Mais c’était aussi une façon de donner suite à nos explorations créatives autour de la poésie (ateliers d’écriture de Colette, « hameaux imaginaires » de Bertrand, etc.)
Nous avons donc pris le temps de réfléchir à l’écriture (comment fonctionne un texte ?), la lecture (comment construisons-nous du sens à partir d’un texte ?) et la traduction (comment se transmet un texte d’une langue à l’autre, d’une époque ou d’une tradition culturelle à l’autre ?)
Le matin, nous avons tous ensemble affûté nos outils en retrouvant dans la mémoire et la culture des uns et des autres ce que signifiaient poésie, fiction, langage, interprétation, signe, métaphore, et d’autres encore. L’après-midi, en ateliers, nous avons lu un poème en profondeur, comparé des traductions différentes de passages de l’Odyssée et de Dostoïevski.
Nous sommes entrés en toute simplicité dans ces vastes perspectives, et les échanges n’en ont été que plus riches. Nous avons redécouvert ensemble que lire était aussi créer, participer à la recherche du sens.
Sophie
Comparé à la mouture originale, un poème en passant d’une langue à une autre se rapproche le plus souvent à un laborieux assemblage de mots. Il perd de sa « force évocatrice ». Je me souviens de ma déception quand j’ai lu en français Mahmoud Darwich traduit de l’arabe par Laabi, un auteur marocain célèbre. C’est pourtant un Arabe francophone au fait des subtilités des deux langues qui peut se faufiler dans les nuances de la langue du poète pour épouser sa subjectivité et forger un poème nouveau.Il ne peut y avoir de transcription littérale en poésie.
Pas seulement en poésie. On l’a bien vu en travaillant ce vendredi 14 mai 2010 Sur des textes de la Bible, l’Odyssée ou Crimes et châtiments de Dostoïevski.
Les mots sont vivants et ne se laissent pas apprivoiser facilement. On ne peut les enfermer sans conséquences dans une vérité du présent. Il est illusoire de vouloir les maintenir dans une définition définitivement figée sans tomber dans un dogmatisme. Le sens évolue sans cesse et ce qui était vrai hier peut ne pas l’être aujourd’hui.
Cela peut être valable aussi quand il ne s’agit pas de traduction. La relecture à trois de « Commune présence », un poème de René Char, a mis en lumière la façon insoupçonnée d’écrire du poète. C’est une découverte cette judicieuse juxtaposition des paradoxes. René Char souligne avec justesse la fragilité de l’existence, de la vie et de ses exigences que l’homme doit assumer.
Ben Aïssa
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Le but de cette rencontre animée par Sophie était de nous faire découvrir, ou redécouvrir, les richesses de la lecture d’un texte.
C’est une banalité de le dire, on ne lit plus.
Ce n’est pas que les écrits manquent bien au contraire : les journaux, y compris les gratuits, les pubs de toute sorte et aussi les avalanches reçues sur internet. Alors on regarde en vitesse, en travers, en diagonale et puis on jette et il n’en reste rien… ou presque.
Mais est-ce qu’on lit vraiment ?
La lecture de bons textes, littéraires ou non, demande une attention, souvent un effort. Sophie nous l’a bien montré, un vrai texte est le résultat d’une construction faite de matériaux, de codes qui s’entremêlent. C’est bien connu, texte et textile, c’est le même mot.
Le texte est bien autre chose qu’une suite de mots et de phrases ; il est porteur de significations à différents niveaux et ce n’est pas toujours évident de les découvrir.
Il y a le récit de faits réels ou fictifs, mais aussi beaucoup de choses qui s’ajoutent, tout un contexte culturel, historique, géographique, quelquefois politique etc.
Il y a le fond du texte, et aussi le mode d’écriture, son rythme, son souffle.
Tout cela est important pour nous montrer ce que l’auteur veut nous dire, comment le texte « fonctionne » et ce qui, consciemment ou non, entre en jeu dans notre lecture et notre compréhension. Ce qui compte est de saisir ce que le texte nous dit aujourd’hui, et non pas d’y chercher des réponses à des questions que l’auteur ne s’est sans doute jamais posées.
J’ai été particulièrement intéressé par le travail en petit groupe sur la lecture comparée de deux traductions différentes d’un même texte. Traduction trahison ? La formule est peut-être un peu excessive, mais quelquefois vraie. En tout cas la traduction est toujours une interprétation.
Il s’agissait d’une page de Crime et Châtiment de Dostoïevski.
Nous avons remarqué tout de suite qu’il s’agissait de deux interprétations très différentes. D’après l’une des traductions, l’auteur semble très engagé et s’exprimer lui-même à travers ses personnages ; d’après l’autre, l’auteur semble décrire les choses de l’extérieur.
Ces différences dans les traductions se font sentir par le choix des mots, le rythme du récit.
Il faudrait pouvoir accéder au texte en version originale russe pour savoir où se situe l’auteur Dostoïevski ; peut-être dans une position intermédiaire ? Mais ce ne serait sans doute pas suffisant et on devrait alors lire des biographies de cet auteur et savoir dans quelles circonstances il a écrit son roman.
Nous avons aussi été sensibilisés aux liens oralité et texte, texte et image.
En résumé, ces échanges nous ont permis de mieux réaliser que la lecture est un véritable investissement qui nous incite à aller au fond et au-delà d’un texte.
Merci à Sophie qui nous a fait profiter de son expérience pour cela.
Jean-Pierre
*
Pour prolonger l’écho de nos échanges, voici ce poème d’Hélène Cixous extrait de Philippines (Galilée, 2009) que nous propose Odile Durand :
Lire ?
Lire la source,
Le tourment, les deux ensemble.
Lire ? Apaiser la faim de l’âme
Qui se souvient du goût de l’illumination.
Manger la lumière. Verser les larmes.
Rétablir le courant de la vie
que les hivers ont coupé.
Remettre l’immortalité
En route.
Tous droits réservés © 2014 Conception Jean-Rémy Dushimiyimana
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